Europa Clipper : une quête spatiale majeure pour explorer l'océan de la lune de Jupiter
© Nasa / JPL-Caltech - Europa Clipper, voyage vers un monde océan.
Cette mission de la Nasa pourrait tout changer. Europe, lune de Jupiter, est une de nos meilleures chances de découvrir une vie extraterrestre à portée de sonde spatiale. Initialement prévu le 10 octobre 2024, son lancement a été reporté à ce lundi 14 octobre 18h06 (heure française) à cause de l'ouragan Milton.
Europa Clipper, voyage vers un monde océan. © Nasa / JPL-Caltech
La sonde Europa Clipper va décoller en direction de Jupiter et sa lune glacée Europe. Vous pouvez même vous amuser à le survoler ici. Cette mission est l'une des plus attendues de la décennie, car elle pourrait révolutionner notre connaissance de l'Univers. La lune Europe est si intéressante qu'une autre sonde, européenne cette fois, est déjà en route pour la rejoindre : Juice.
Les deux vaisseaux ne disposent pas des mêmes instruments, mais cherchent au fond à vérifier la même chose. Ne serait-il pas possible qu'une vie extraterrestre, probablement bactérienne, existe non loin de nous, dans des océans d'eau liquide piégés sous une surface gelée ?
Présentation de la mission et de la sonde Europa Clipper
Quel lanceur et pourquoi la lune Europe ?
Quels objectifs scientifiques et quels instruments ?
Présentation de la mission et de la sonde Europa Clipper
Sigle de la mission Europa Clipper. L'importance de l'eau étant centrale, elle est rappelée à la fois par l'océan et le navire représentant la sonde spatiale. © Nasa/ JPL
Vous êtes peut-être déjà dans Europa Clipper ? Effectivement, 2,6 millions de noms sont gravés sur une puce installée sur une fine plaque de tantale, qui contient aussi un poème d'Ada Limon et l'équation de Drake. Célèbre, celle-ci évalue le nombre de civilisations extraterrestres capables de communiquer avec nous dans la Voie lactée.
Côté gauche, la plaque contient le poème d'Ada Limon et un portrait de Ron Greeley, l'un des fondateurs de la planétologie. Côté droit, il s'agit du spectre acoustique du mot “eau” dans 100 langues. Sur les autres faces se trouvent l'équation de Drake et 2,6 millions de noms microgravés. © Nasa / JPL
Sur cette fameuse plaque, le mot “eau” est gravé dans 100 langues différentes, sous forme de spectre acoustique, car l'eau est centrale dans la mission Europa Clipper. Nous savons depuis au moins la sonde Galileo qu'Europe contient un océan global d'un volume supérieur à tous les océans terrestres réunis. Or sur Terre, l'eau est à la base de toute forme de vie, car elle compose entre 75 % et 95 % des cellules. Nous reviendrons sur ces notions plus loin.
Voilà pour l'aspect communication, dans laquelle la Nasa excelle, et pour le romantisme de la mission qui n'en manque pas.
Europa Clipper doit arriver en 2030 autour de Jupiter avant d'effectuer ses survols de la lune Europe en 2031. C'est le plus grand vaisseau jamais envoyé par la Nasa autour d'une planète : avec ses panneaux solaires il fait 30 m, soit la longueur d'un terrain de basket !
Europa Clipper est aussi grand qu'un terrain de basket (illustration). © Nasa / JPL
La sonde n'orbitera pas directement autour d'Europe, qui constitue sa cible principale, mais en effectuera au moins 50 survols depuis ses orbites autour de Jupiter, comme montré sur cette illustration :
Orbites elliptiques d'Europa Clipper autour de Jupiter, permettant les survols de sa cible Europe. © Nasa
Cette mission est décisive et les chiffres impressionnants :
- Coût de la mission : environ 5 milliards de dollars US
- Poids de la sonde spatiale : 6 t (la moitié en ergols)
- Poids des instruments scientifiques : 352 kg (neuf instruments)
- Durée de la mission : 10 ans
- Lancement : 14 octobre (initialement prévu le 10/10)
- Type de sonde : orbiteur
- Lanceur : Falcon Heavy
Quel lanceur et pourquoi la lune Europe ?
Le lanceur
Initialement, c'était le lanceur Space Launch System (SLS) des missions Artemis qui devait propulser Europa Clipper dans l'espace, mais après de nombreux retards la Nasa a finalement opté pour une autre fusée lourde, moins puissante, mais très fiable : la Falcon Heavy de SpaceX.
La Falcon Heavy sur son pas de tir. © SpaceX (CC)
L'impressionnante baie des 27 moteurs Merlin du premier étage de la Falcon Heavy. © SpaceX
Avec le SLS, la sonde Europa Clipper serait arrivée sur site en seulement deux ans et demi. Mais à cause de son poids de 6 t et la moindre puissance de la Falcon Heavy, son périple durera six ans et devra nécessiter l'assistance gravitationnelle de Vénus et de la Terre. Car oui, on ne voyage pas en ligne droite dans l'espace et on prend souvent son élan grâce aux planètes, ce qui implique de partir parfois à l'opposé de la destination finale.
Trajectoires d'Europa Clipper avec les différents lanceurs lors de l'étude du projet. Avec le SLS, plus puissant, la trajectoire était plus directe, mais avec la Falcon Heavy une assistance gravitationnelle planétaire est obligatoire. © Nasa OIG presentation of Agency information
Avec cette trajectoire spatiale, Europa Clipper parcourra environ 3 milliards de kilomètres avant d'atteindre Jupiter, pourtant éloigné en moyenne de la Terre de 780 millions de kilomètres “seulement”.
Pourquoi la lune Europe ?
Europe est une des nombreuses lunes de Jupiter, qui en possède la bagatelle de 95. C'est la quatrième plus grosse, visible avec de simples jumelles comme une mini-étoile autour de Jupiter. Mais il s'agit avant tout de la plus intrigante, qui concentre tous les regards scientifiques…
Les lunes Io et Europe (de gauche à droite) devant la géante gazeuse Jupiter (Voyager 1). © Nasa / JPL
D'abord, elle est belle. Bien sûr, la beauté est subjective, mais quand même :
La lune Europe par la sonde Galileo. Ses linea, les lignes rosées à sa surface, sont des dépôts salins (le contraste est forcé). © Nasa/ JPL
Si nous devions présenter Europe en une phrase, nous évoquerions un croisement entre notre Lune et l'Antarctique, s'agissant d'une gigantesque boule d'eau gelée en surface. Et comme notre Lune, elle présente toujours la même face à sa planète. Sous sa croûte de glace, un océan global a été repéré et confirmé avec un haut degré de certitude, notamment par la sonde Galileo. La masse d'eau liquide est estimée à environ deux fois la totalité des océans et mers terrestres, ce qui est assez colossal.
Schéma de la structure interne d'Europe. © Kelvinsong
Mais ce qui est véritablement fascinant, c'est que ce satellite subit les forces de marées exercées par son orbite autour de la géante Jupiter, qui malaxent sa croûte et la travaillent, apportant ainsi une énergie et de la chaleur à l'océan subglaciaire. Sur Terre, l'une des hypothèses de l'apparition de la vie fait intervenir le fond des océans et les cheminées hydrothermales. Il est donc envisagé qu'un tel mécanisme puisse produire les mêmes effets sur cette lune.
Les forces de marées de Jupiter étirent Europe et chauffent sa croûte glacée (le mouvement est ici exagéré). © Nasa/ JPL
Sans doute, la plus grande question totalement ouverte aujourd'hui en sciences est celle d'une vie extraterrestre. Existe-t-elle ou n'existe-t-elle pas ? Il n'y a peut-être même pas besoin d'aller chercher des exoplanètes à des milliers de milliards de kilomètres pour trouver la réponse, car elle pourrait exister là, sous nos yeux et la glace d'Europe !
Bien sûr, personne ne s'attend à découvrir des calmars géants ou des baleines (rappelons que ces dernières doivent remonter respirer à la surface), mais plutôt des bactéries capables de chimiosynthèse, c'est-à-dire produisant leur énergie à partir de molécules et non de la lumière du Soleil (photosynthèse).
La chimiosynthèse permet de trouver de l'énergie dans les molécules soufrées ou carbonées sans faire appel à la lumière du Soleil. C'est un mécanisme différent de la photosynthèse. © Capsule graphik
Europe semble éjecter des panaches d'eau de sa surface. Image composite (superpositions de prises à différentes longueurs d'onde). © ESA/ HST
Des chercheurs pensent que les entrecroisements de linea montrent que de nombreuses petites plaques de glaces peuvent se déplacer lentement, conduisant à un analogue de tectonique des plaques. © Nasa / JPL
En 2022, une étude montrait comment les plaques de glace d'Europe se morcellent et se déplacent. Si ces chercheurs ont vu juste, il s'agit d'une autre forme de tectonique des plaques que celle observée sur Terre. © Geoffrey C. Collins & al (AGU 2022)
Quels objectifs scientifiques et quels instruments ?
On l'aura deviné, la mission scientifique d'Europa Clipper est liée à la possibilité d'une vie extraterrestre. Mais comme celle-ci n'est pas directement observable à la surface, contrairement à ce qu'imaginèrent certains optimistes audacieux du siècle passé, il va falloir y aller par étapes.
Illustration rêvant à une vie possible à la surface d'Europe (1903). © Domaine public
Europa Clipper va survoler Europe depuis ses orbites joviennes. Il n'a pas été finalement décidé de poser un atterrisseur sur la glace d'Europe, notamment à cause de la complexité et du risque élevé d'échec. Les données orbitales ont donc été priorisées, sans compter qu'il existe un risque non négligeable de contaminer une éventuelle vie bactérienne locale.
L'instrumentation scientifique d'une sonde spatiale est sa raison d'être. On peut la comparer aux organes, voire aux sens d'un être vivant. C'est par ses instruments que la machine fera des découvertes. Ils constituent d'ailleurs une grande partie de sa masse, exception faite des carburants.
Les instruments d'Europa Clipper sont annoncés au nombre de neuf. Dans le détail, on s'aperçoit qu'ils sont en réalité 10, mais peut-être que Gravity Radio Science n'est pas compté au départ, car il utilise le système émetteur-récepteur radio de communication avec la Terre. En suivant ce lien de la Nasa, vous pouvez observer la sonde et chacun de ses instruments.
Europa Clipper sur son site officiel. En visitant le lien donné, vous pourrez observer et détailler chaque instrument sur le modèle 3D du vaisseau. © Nasa
Europa Clipper s'approchera jusqu'à 25 km de la surface de sa cible, qu'elle va ainsi quasiment effleurer ! Après une présentation succincte des instruments, nous terminerons par les promesses d'un seul petit grain de poussière glacée et d'un spectromètre caractéristique d'Europa Clipper : SUDA.
Toute la technologie autour des magnétomètres et de la sonde à plasma sert à étudier l'océan liquide d'Europe. Mais une fois celui-ci confirmé — ce qui ne fait guère débat en réalité —, un instrument bien particulier catalysera nos espoirs de découvrir une vie différente de celle que nous connaissons : SUDA. Celui-ci peut analyser la composition de la poussière présente sur Europe et qui pourrait être éjectée par des geysers, les fameux panaches (plumes en anglais).
Une étude de mars 2024 a montré que la faible quantité de matière présente dans un seul grain de poussière suffit à SUDA pour détecter une bactérie aussi minuscule que S.Alaskensis, que l'on retrouve dans les eaux en Alaska, un milieu qui dispose de conditions assez comparables à l'océan d'Europe !
Oleïdesulfovibrio alaskensis pourrait-elle être une cousine terrestre de la vie extraterrestre d'Europe ? Image obtenue par microscope à fluorescence. © vvjbp, Wikipédia, CC
Pour conclure ce voyage vers Europe, qui pourrait aboutir à la plus grande découverte de l'histoire de l'Humanité, nous laissons la parole à Ada Limon, lauréate du concours de poésie organisé pour la mission Europa Clipper (traduction libre) :
Et (...) ce qui nous unit, c'est l'eau, chaque goutte de pluie,
Chaque ruisseau, chaque pulsation, chaque veine.
Ô, deuxième lune, nous sommes aussi faits d'eau,
De mers vastes et qui appellent
Nous aussi sommes faits de merveilles, d'amours
grands et ordinaires, de mondes minuscules, invisibles,
et du besoin d'appeler dans la nuit.
La si mystérieuse surface d'Europe… © Nasa/JPL
Sources :
(site officiel)
Page Wikipédia dédiée à Europa Clipper
L'étude sur SUDA
Un excellent blog dédié au spatial (où vous trouverez quelques articles d'astronomie/astrophysique) : Rêves d'espace