La gravure Intel 18A est une réalité et pourrait remettre Intel dans la course
© Adrian Branco pour les Numériques
Intel a annoncé la disponibilité de son procédé de gravure 18A qui propulsera ses puces Panther Lake à la fin de l’année. Une technologie de pointe qu’Intel a pris grand soin d’intégrer dans l’écosystème de production des puces. Pour venir, qui sait, rapidement taquiner TSMC ?
Voilà un baptême du feu qui rentre dans le vif ! Alors qu’il prépare un énorme plan de licenciement, que la situation géopolitique se tend et que la pression de Wall Street a eu raison de son prédécesseur, le nouveau patron d’Intel, Lip-bu Tan, a choisi sa conférence Intel Foundry Direct Connect pour aborder LE sujet brûlant : sa technologie de gravure Intel 18A.
Lip-Bu Tan, nouveau PDG d'Intel. © Adrian Branco pour Les Numériques
Pour sa première allocution publique depuis sa prise de fonction, Lip-bu Tan a rassuré l’audience réunie à San Diego : "Panther Lake 18A arrivera bien d’ici à la fin de l’année", a-t-il assuré d’un phrasé lent et neutre qui tranche avec le style énergétique du truculent Pat Gelsinger. Une assertion qui valide une réalité : Intel continue sa remontada technologique face au Taïwanais TSMC.
Loin d’être anecdotique, la déclaration du PDG d’Intel avait comme objectif de rassurer non seulement les acteurs d’une industrie qui a besoin de plus de capacité de production et d’un concurrent à TSMC. Mais aussi des financiers, qui veulent savoir si les dizaines de milliards investis par le précédent boss vont bien se traduire par un retour sur investissement. Une nécessité pour une entreprise qui affiche plusieurs trimestres de pertes – 821 millions de dollars de pertes réelles qu’au premier trimestre de cette année.
Dans cette course au retour à la rentabilité, l’importance du node (la technologie de gravure, ndr) Intel 18A est énorme. Tellement énorme, que Pat Gelsinger admettait en avril 2024 dernier avoir "parié le futur de l’entreprise sur Intel 18A".
Intel 18A, le retour dans la course ?
Après avoir buté des années sur le node dit 10 nm qui lui a valu de se faire distancer par TSMC, Intel s’est réveillé. Lip-bu Tan hérite ici de la feuille de route de Pat Gelsinger, appelée 5N4Y. Un plan qui se traduit en "cinq nodes en quatre ans" qui a abouti au 18A. Outre la réduction classique de la taille des circuits, ce node de fabrication est majeur non seulement pour Intel, mais aussi pour l’industrie.
Intel 18A introduit en effet plusieurs nouvelles méthodes de conception des puces. La première est l’alimentation par l’arrière de la puce ou Backside Power Delivery. Une technologie appelée PowerVia par Intel, qui a comme intérêt de retirer les circuits d’alimentation de la partie logique. Ce qui permet de densifier un peu les transistors liés au calcul et réduire un peu la consommation énergétique.
L’autre technologie introduite par Intel 18A est encore plus importante et s’appelle GAAFET. Il s’agit du premier changement de conformation spatiale des transistors depuis 2011 ! A cette époque, Intel avait été le premier à introduire les transistors à effet de champ à ailettes (FinFET dans le jargon). Une structure qui est toujours au cœur de toutes les puces qui nous entourent depuis 14 ans.
Le nom marketing d’Intel de ces nouveaux transistors est RibbonFET. Des transistors dont le technique est de faire passer les ailettes non pas en partie, mais totalement à l’intérieur de la porte logique. Une organisation qui a comme intérêt non seulement de densifier les transistors, mais aussi de limiter les fuites de courant.
Avec toutes ces améliorations, le node Intel 18A promet beaucoup sur le papier. Mais la technologie seule ne saurait sauver Intel : pour que sa stratégie de transformation de ses usines fonctionne, il faut aussi et surtout que des clients soient intéressés. Et pour les attirer, il faut non seulement une finesse de gravure. Mais aussi des outils pour en tirer parti.
Les outils de conception tiers sont là
Les trois PDG des plus gros EDA étaient tous sur scène pour soutenir Intel. © Adrian Branco pour Les Numériques
Si Intel a déroulé ses technologies et feuilles de route, l’aspect le plus important de la conférence d’Intel était la présence d’entreprise tierce sur scène, appelées Cadence, Synopsys et Siemens. Des acteurs qui ne vous parlent peut-être pas. Mais qui sont pourtant incontournables : la quasi-totalité des puces de la planète sont conçues avec leurs technologies et leurs outils !
Et ce n’étaient pas des seconds couteaux qui étaient sur scène, mais les PDG. Tous avec le même message : "nos outils sont prêts pour concevoir des puces Intel 18A". Et croyez-le ou pas, il s’agit là d’une petite révolution : car avant la création de Intel Foundry Services par le précédent PDG d’Intel, Pat Gelsinger, Intel et ses rares clients externes devaient utiliser les outils maison d’Intel.
"Nous avons démarré le travail très tôt pour concevoir nos outils pour prendre en charge Intel 18A. Toutes nos architectures (IP et I/O, ndr) sont prêtes pour ce node", a expliqué Sassine Ghazi, PDG de Synopsys, le leader des outils logiciels de conception de puces. "Par rapport au node 10 nm d’Intel (qui utilisait les outils internes d’Intel, ndr), la conception des puces en Intel 18A (avec les outils de Synopsys, ndr) est de trois à quatre fois plus facile", a assuré le patron de Synopsys.
La guerre des puces et la géopolitique sont du côté d’Intel
Si TSMC règne pour l’heure en maître sur les meilleures technologies de gravure, ce monopole de fait est une faiblesse pour l’industrie. Le Taïwanais a plusieurs fois relevé ses prix et ses clients n’ont d’autre choix que de suivre. Ensuite, les capacités de production de TSMC, pourtant les plus importantes de la planète, ne suffisent pas à nourrir l’appétit du monde en matière de puces. La course à l’IA faisant couler des sommes délirantes, tout le monde se bat pour les capacités de production.
Les joueurs qui essayent de se procurer des cartes graphiques en font d’ailleurs les frais : pourquoi produire des GPU à 1500$ (ce qui est déjà cher), quand un GPU de calcul intensif comme le Nvidia H200 peut se vendre à 30.000$ ?
Finalement, le fait que la Chine soit de plus en plus agressive vis-à-vis de Taïwan inquiète de plus en plus de monde. En cas d’invasion, la disruption des usines de TSMC priverait non seulement Nvidia et Apple, mais aussi AMD, Qualcomm et tout le reste de l’industrie du design de leurs produits. Il n’y aurait plus d’iPhone, de Geforce ou de PlayStation d’une part, mais on manquerait aussi de puces pour les voitures, les trains et des millions d’autres biens de consommation intégrant des puces (pas forcément de pointe).
Tous les acteurs que nous avons approchés pendant la conférence, dont Qualcomm, louaient la montée en puissance d’un second acteur qui, aux côtés de Samsung, représente une alternative viable à TSMC en cas de montées des tensions géopolitiques. Des tensions qui forcent les pays et entreprises à penser à la redondance des chaînes d’approvisionnement, mais aussi à des éléments de souveraineté.
Intel a d’ailleurs sorti de sa manche des slides PowerPoint très claires en ce sens : ses technologies et usines sont certifiées par le département américain de la Défense. Dans la guerre économique avec la Chine, ce sceau et les usines sises aux USA sont un atout de poids pour convaincre.
Construire la culture client
© Adrian Branco pour Les Numériques
Ancien PDG de Cadence, Lip-bu Tan a fait de sa précédente entreprise un géant des outils de conception des puces. Il sait donc mieux que quiconque comment fonctionne l’écosystème. "Tous nos clients ont des façons différentes de concevoir les puces", a expliqué le nouveau PDG d’Intel. Ajoutant que "désormais, nous avons les tous les meilleurs EDA (outils de conception des puces, ndr) compatibles avec notre node Intel 18A".
Mais Intel est une vieille maison. Changer la culture prend du temps. Si tous les acteurs venus sur scène ont souligné leur plaisir de travailler avec Intel, le PDG de Cadence a été très clair : "Intel est une grande entreprise mais elle ne peut pas tout toute seule, elle doit bouger avec l’écosystème." Comprendre que si Intel s'est comporté en "boss" les décennies précédentes, les temps ont changé. L'industrie est plus complexe que jamais et Intel ne pourra plus jamais tout contrôler toute seule. Elle doit apprendre non seulement à construire une culture client, mais aussi travailler de concert avec ses partenaires.
Lip-bu Tan ne se leurre pas et est resté humble tout du long de son allocution. Bien que conscient d’être "la seule entreprise capable de produire des puces de pointe aux USA", l’ingénieur en chef d’Intel a conclu sur une phrase en guise d’avertissement à ses propres employés : "Les succès passés ne garantissent pas la réussite future". En deux mots : "au travail".
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